Mort d'un gitan : retour sur les lieux du drame
11/03/2011 05:43
Juges d'instruction, avocats et enquêteurs ont visualisé, hier en Loir-et-Cher, l'endroit où le gendarme a mortellement blessé un jeune gitan, l'été dernier.
En un clin d'oeil, hier après-midi, le petit bourg de Thésée-la-Romaine s'est retrouvé complètement bouclé par la gendarmerie. C'est ici que, dans la soirée du 16 juillet dernier, Luigi Duquenet, 22 ans, a été atteint d'une balle de pistolet alors que la voiture conduite par son oncle Miguel franchissait un barrage.
Il est à peine 14 h quand une cinquantaine de militaires renforcés par deux escadrons de gendarmes mobiles se déploient à toutes les entrées du village. Personne ne passe, les voitures sont déviées sur les axes voisins, tandis que les journalistes sont priés d'aller voir ailleurs. Les deux juges d'instruction en charge de l'affaire arrivent sur la place de l'église accompagnés des avocats et des enquêteurs de la section de recherche d'Orléans ainsi que de l'inspection générale de la gendarmerie.
'' Il est impensable qu'il n'ait pas vu les gendarmes ''
Il ne s'agit pas encore de la reconstitution du drame prévue au début de l'été mais d'un transport sur les lieux initialement programmé cet hiver mais reporté à cause du froid. La plupart des protagonistes du dossier n'avaient encore jamais vu cette petite agglomération de la vallée du Cher, située en bordure de la voie ferrée Tours-Vierzon. C'est par là, depuis la route de Bourré, qu'est arrivée peu après 22 h, la Renault 19 Chamade recherchée par tous les gendarmes du département. Trois heures plus tôt, un adolescent d'Onzain s'était fait voler un billet de 20 euros à un distributeur puis un gendarme de la brigade locale qui tentait d'arrêter le suspect s'était fait traîner sur le capot de la voiture en fuite.
« Ce transport a permis de visualiser la configuration des lieux en présence des avocats de toutes les parties, a indiqué la procureure de la République de Blois, Dominique Puechmaille, les personnes concernées dans ce dossier n'étaient pas présentes, ni les deux gendarmes ni le conducteur qui est toujours détenu. Des photographies des lieux ont été prises pour la préparation de la reconstitution. » Ce transport avait été demandé par le précédent avocat de Miguel Duquenet.
Pour M e Benoît Chabert, avocat du gendarme qui a tiré sur Luigi Duquenet, cette visite sur les lieux a permis de conforter la thèse de son client qui explique avoir tiré en état de légitime défense alors qu'il avait pour mission d'intercepter un véhicule en fuite. « Vu les lieux, il est impensable d'affirmer que conducteur n'avait pas vu les gendarmes postés au bord de la route. La route n'est pas large, l'espace entre le véhicule des gendarmes et la chaussée est étroit, lorsque deux gendarmes se postent à cet endroit, il est impossible de ne pas les distinguer. Les deux gendarmes étaient reconnaissables sans aucune ambiguïté. »
Au contraire, pour M e Jean-Claude Guidicelli, avocat des proches du défunt et de Miguel Duquenet, les gendarmes n'étaient pas identifiables de loin « car, selon les témoignages, le gyrophare de leur véhicule n'était pas actionné ». « L'important dans cette affaire ce n'est pas le refus d'obtempérer du conducteur mais les conditions d'utilisation de l'arme par le gendarme. La reconstitution permettra de mettre à mal la thèse de la légitime défense qui ne tient pas », a conclu l'avocat qui compte déposer une nouvelle demande de mise en liberté pour son client incarcéré le 23 juillet dernier.
repères
Luigi, 22 ans, est mortellement blessé à un barrage de gendarmerie à Thésée-la-Romaine
>DANS LA SOIRÉE DU 16 JUILLET 2010, à Thésée-la-Romaine (Loir-et-Cher), Luigi Duquenet, 22 ans, est touché mortellement par une balle tirée par un gendarme alors que lui et son cousin, Miguel, qui conduit la voiture, ne s'arrêtent pas à un barrage. Le plan « Filet bleu » avait été mis en place après le vol de 20 € à Onzain et alors qu'un gendarme d'Onzain avait été traîné sur un capot.
>LE DIMANCHE 18 JUILLET, une trentaine de personnes de la communauté des gens du voyage attaquent le peloton autoroutier de Saint-Romain puis la brigade de Saint-Aignan, abattant des arbres et brûlant des voitures. Dans la nuit qui suit, des voitures sont brûlées, deux salles de mairie incendiées (dont celle de Thésée) et des vitrines brisées dans les villages alentours.
>LE 19 JUILLET, Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, se rend à Saint-Aignan pour condamner les émeutes. Quelque 300 gendarmes et deux hélicoptères vont quadriller la zone.
> LE 21 JUILLET, ouverture de deux informations judiciaires, l'une pour élucider la mort de Luigi Duquenet, l'autre concernant les tentatives d'homicide sur trois gendarmes.
> LE 22 JUILLET, Miguel Duquenet, cousin de Luigi et conducteur de la voiture le soir du drame, se rend. Il conteste la version des gendarmes et parle de guet-apens. Il sera mis en examen et écroué pour « tentative d'homicide volontaire sur deux gendarmes, refus d'obtempérer, non-assistance à personne en danger ». Le même jour, deux condamnations et une relaxe sont prononcées par le tribunal correctionnel de Blois concernant les dégradations de Saint-Aignan tandis qu'un mineur sera condamné en novembre à soixante heures de travail d'intérêt général.
>LE 27 JUILLET, les avocats de la famille de Luigi Duquenet portent plainte auprès du doyen des juges d'instruction à Blois. Ils demandent une reconstitution des faits.
>LE 12 AOÛT, Daniel Duquenet, autre cousin de Luigi, est condamné à quatre mois de prison ferme pour son implication dans les dégradations de Saint-Aignan. Le parquet a fait appel, il sera bientôt rejugé à Orléans.
>LE 9 SEPTEMBRE, les avocats des proches de Luigi Duquenet contestent la légitime défense invoquée par la gendarmerie.
>LE 1 er OCTOBRE, le gendarme de Saint-Aignan qui a tiré sur le jeune gitan est mis en examen pour « coups mortels » par le juge Xavier Girieu. Ce militaire, comme son collègue de patrouille, s'est également constitué partie civile dans l'information ouverte pour tentative d'homicide contre les gendarmes.
> LE 3 NOVEMBRE, la cour d'appel d'Orléans rejette la demande de mise en liberté de Miguel Duquenet, mis en examen pour tentative d'homicide sur les gendarmes et non assistance à personne en péril. Sa demande d'annulation de mise en examen pour tentative d'homicide volontaire sur les gendarmes est également rejetée.
Lionel Oger
source la nouvelle république ici:
http://www.lanouvellerepublique.fr/ACTUALITE/Faits-Divers/24-Heures/Mort-d-un-gitan-retour-sur-les-lieux-du-drame