Paru dans l' édition du dimanche 04 novembre 2007 – OUEST FRANCE
« Fier d'être gendarme, mais c'est le ras-le-bol... »
Les gendarmes ont le moral au plus bas
et la grogne monte. Un gendarme d'une compagnie de l'Ouest témoigne et explique
les raisons du malaise.
Cumul des missions, manque de reconnaissance, équilibre entre statuts « police » et « gendarmerie »... Le président Nicolas Sarkozy, qui doit s'exprimer prochainement devant 1 800 policiers et gendarmes, réussira-t-il à rassurer les gendarmes ? Un gendarme de l'Ouest a accepté de témoigner. Interrogé pour dimanche Ouest-France, il s'exprime sous couvert de l'anonymat car les militaires sont tenus au devoir de réserve.
Malaise. «Le malaise des gendarmes aujourd'hui? On nous donne de plus en plus de missions dans tous les domaines: chasse, environnement, perte de cartes grises et de papiers d'identité, etc. Tout ça en plus du travail administratif, militaire et judiciaire. On nous demande d'intervenir dans des tas de domaines dont nous ne sommes pas spécialistes. Or, certaines tâches pourraient être remplies par d'autres administrations, comme les mairies.»
Travailler plus... «On se sent clairement en décalage par rapport aux civils et ce qui est prononcé au niveau politique. 'Travailler plus pour gagner plus', je veux bien! Avec le système des astreintes, je travaille 35 heures en deux jours: j'embauche à 8h jusqu'à 19h puis je suis d'astreinte de 19h à 8h. On va me répondre: « Oui, mais tu n'es pas amené à sortir en mission tous les soirs ». D'accord. Mais quand on est d'astreinte, on a beau être chez soi, on ne peut rien faire d'autre. Pas question d'aller au cinéma ou d'aller voir la famille ou des amis. Le téléphone peut sonner à tout moment. On nous demande en plus de faire beaucoup de service dit 'externe' : je peux, par exemple, être sur le terrain pendant quatre heures le matin, cinq heures l'après-midi, et quatre heures encore le soir si je suis sollicité au cours de mon astreinte. En moyenne, une semaine normale en brigade territoriale, c'est 60 heures d'externe et 70 heures d'astreinte.
Vie en communauté. «Le gendarme a encore un côté vraiment militaire, c'est-à-dire corvéable à merci. De plus, il vit en communauté. Ça a des bons côtés mais aussi des mauvais: il n'y a pas de distinction entre notre vie professionnelle et notre vie privée. Les logements de service ne sont pas forcément adaptés à la situation familiale. Longtemps, j'ai vécu dans 72m2 avec ma femme et nos trois enfants. Beaucoup de logements sont dégradés. L'un de mes collègues a fait venir le médecin militaire accompagné du lieutenant-colonel pour faire constater que son logement est insalubre et dangereux. Nos commandants de brigades nous écoutent mais dès que l'on passe à l'échelon supérieur, même au niveau des compagnies de gendarmerie, ça bloque. Tout le monde se renvoie la balle.»
Faire du chiffre. «Avant, c'était donnant-donnant. Tu travaillais trois heures de plus? Ton chef te disait de récupérer le lendemain, en faisant du sport par exemple. Aujourd'hui, c'est la culture du résultat. Il n'y a pas le choix, faut y aller. En plus, si on n'est pas bon côté chiffres, avec les étrangers en situation irrégulière, il faut rattraper le retard avant la fin de l'année. Mais quand on fait sortir un gars sur le terrain à la treizième heure de service, il n'est peut-être plus vraiment performant.»
Policier mieux que gendarme. «Il n'y a pas de ressentiment envers les policiers. Nous avons fait le choix d'être gendarmes. Mais si demain, on me dit: 'Tu passes policier avec leurs effectifs et leurs moyens', je signe tout de suite! Aujourd'hui, beaucoup de gendarmes prennent leur retraite à
50 ans. S'il y avait un pont entre les deux corps, la moitié des gendarmes au moins le franchiraient. Il semble que le décret organique de 1903 concernant le statut de gendarme sera abrogé et réécrit sous la coupe du ministère de l'Intérieur. On verra bien. Si au moins les grilles indiciaires des salaires étaient alignées...»
Mal au boulot. «En attendant, on gère comme on peut. Ça devient difficile de vivre gendarme, d'être marié gendarme, d'avoir des enfants. Mal au boulot, mal à la famille. Je suis fier d'être gendarme mais c'est le ras-le-bol.»
Recueilli par une de nos rédactions de l'Ouest.
Mardi 6 novembre 2007 Article du TELEGRAMME de ce jour
Gendarmerie. Un malaise « plus profond qu’en 2001 »
Selon l’UNPRG (Union nationale du personnel de la gendarmerie en
retraite) des Côtes-d’Armor (*), le mécontentement actuel au sein des personnels de la gendarmerie serait plus profond qu’en 2001 !
C’est ce qui ressort des témoignages d’officiers et sous-officiers d’unités de terrain, recueillis ces dernières semaines par l’UNPRG des Côtes-d’Armor, qui concordent tous pour dire qu’une nouvelle crise s’installe au sein de l’institution. Pour les retraités, la divulgation dans la presse du rapport du commandant de groupement du Finistère est « courageuse » et révèle, « une fois de plus, que les instances de concertation internes ne jouent pas le rôle attendu ».
« Un manque d’écoute »
« La manifestation historique de 24.000 gendarmes, le 7 décembre 2001, n’aura donc pas servi de leçon », poursuit l’UNPRG dans un communiqué. « En effet, ni la hiérarchie, jusqu’au plus haut niveau, ni les politiques, ne font en sorte d’éviter que les conditions d’une nouvelle crise ne soient à nouveau réunies. Cette baisse du moral des gendarmes n’est pas subite. Elle résulte d’un manque d’écoute de leurs problèmes depuis plusieurs années, dans des domaines tels que l’amélioration de leur rémunération (grille indiciaire), en adéquation de traitement avec leurs collègues de la police ; une disponibilité permanente non reconnue pécuniairement ; l’accroissement des charges de travail avec la multiplication des priorités, alors même que les effectifs annoncés peinent à venir ; une pression hiérarchique permanente en termes de résultats, avec une répartition contestée des primes au mérite ; un manque de reconnaissance et de soutien de la hiérarchie ».
« Véritable provocation »
Pour les retraités, le passage de la gendarmerie sous tutelle du ministère de l’Intérieur au 1 e r janvier 2009, ainsi qu’un projet de réforme de l’État portant sur une réduction de 8.000 à 10.000 postes à l’horizon 2011, « viennent rajouter de l’huile sur le feu, d’autant qu’il est question de créer de grandes circonscriptions de police nationale sur le périmètre des agglomérations de plus de 50.000 habitants et, parallèlement, de fermer la moitié des brigades de gendarmerie. Une véritable provocation pour les gendarmes qui, au-delà des baisses d’effectifs opérationnels, se voient, à terme, cantonnés à la surveillance des campagnes, au profit de la police. Ils ont pourtant su démontrer avec succès leur capacité à s’adapter en milieu urbain, lors de la prise en compte de villes détenues par des commissariats ». Et l’UNPRG de conclure :
« Ce manque de reconnaissance du politique ne passe pas. Les gendarmes ont conscience que l’avenir de la gendarmerie se joue sans eux, les acteurs
principaux ». * L’UNPRG des Côtes-d’Armor, présidée par Daniel Preauchat, regroupe 1.300 adhérents, officiers et sous-officiers dans le département et se situe au deuxième rang national par son nombre d’adhérents.