Depuis des années, le jardinier contemplait le verger de son voisin.
Plus les arbres poussaient, chargés de fruits, plus l’envie lui venait d’avoir un verger identique.
Il faut dire que son voisin n’était pas n’importe qui, c’était le seigneur des lieux, son seigneur.
Le verger prospérait, grâce au travail du jardinier.
Le seigneur se réservait la récolte.
Depuis des années, donc, le jardinier contemplait le fruit de son travail. Il n’avait juste que la satisfaction du travail bien fait, du soin apporté ; parfois, le seigneur lui accordait droit de ramassage, et alors le jardinier revenait chez lui, offrant aux siens des paniers de fruits.
Ce seigneur avait interdit à ses sujets de posséder un tel verger, cela était son privilège. Un texte fort ancien fixait ce droit, nul ne se serait permis de le bafouer. C’était la règle, immuable.
Un jour, une lointaine cousine, d’un pays voisin, l’invita à son mariage.
Voyager était alors une occasion rare. Le jardinier était lié au seigneur, comme tous les sujets. La terre, le bétail, le bois, le verger, demandait du temps, du travail, de la main d’œuvre, il y avait toujours à faire.
Le seigneur avait également fixé les règles de vie de ses sujets, qui s’y conformaient. C’était la loi, immuable.
Le jardinier n’avait jamais quitté son village ; en récompense de son bon comportement et de son travail, le seigneur lui permit de se rendre dans la contrée voisine.
Contrairement à ce que lui avait prédit les gens de son village, il ne se fit ni dévorer par les loups, ni attaquer par les brigands ; il n’attrapa pas non plus de maladie inconnue, et ne se perdit pas en chemin.
Sa cousine l’accueillit à bras ouverts ; quelque chose surprit le jardinier, l’horrifia même : tous les habitants possédaient un verger. Il s’en ouvrit à sa cousine, qui rit aux éclats. Il lui rappela le texte de son seigneur, l’interdiction faite de posséder un arbre fruitier. La cousine, les invités de la noce, les gens du village, lui demandèrent en quoi posséder un verger était un crime. En quoi troublaient-ils la loi en plantant un arbre ?
Convaincu, le jardinier accepta les cadeaux de sa cousine : un jeune pommier, un jeune noyer, un jeune cerisier.
Rentré chez lui, il planta derrière sa maison les trois arbres, au grand effroi de ses amis.
Arriva ce qui devait arriver ; les gens d’armes du seigneur se présentèrent tôt un matin et emmenèrent, fers aux mains, le pauvre jardinier.
Les geôles. Le jugement.
Le jardinier fit valoir au seigneur l’argument de sa cousine : en quoi posséder un verger était un crime ? Le seigneur se retrancha derrière le texte ancien. Le jardinier fit remarquer à ses juges que ses trois arbres ne défiaient pas l’autorité de son seigneur. Qu’il continuait de s’occuper du verger seigneurial. Que ce droit ancien valait pour cette contrée, pas pour la contrée voisine. Il narra son voyage, dit que là-bas, avoir un verger était chose naturelle, que cela n’avait pas mis le pays à feu et à sang.
Mon histoire s’arrête là ; la fin s’est perdue. Mais quand je vois tous ces vergers aujourd’hui, je soupçonne le jardinier d’avoir eu gain de cause.
Vous qui venez sur ce forum, n’ayez pas peur, vous ne vous ferez pas dévorer par les loups, ni attaquer par les brigands ; vous n’attraperez pas de maladie inconnue, vous ne vous perdrez pas en chemin.
Inscrivez-vous.
Les gens d’armes viendront-ils un bon matin vous passer fers aux poignets pour cette inscription ?
Je connais un pays voisin, dont le seigneur promettait telle punition à ses sujets pour ce genre de méfait ; j’ai appris qu’il y a peu, ce pays avait ouvert un forum presque identique à celui-ci.
Inscrivez-vous, lisez, émettez un avis, critiquez, osez.
Nos trois arbres sont plantés, ce n’est pas un grand verger, un coup de froid est toujours possible, nous ne parlons même pas de récolte. Ils sont plantés, c’est tout dont je suis sûr.
Sujet: LE MECHANT JARDINIER 
Sam 14 Avr 2007 - 0:02
...
