Rappel du premier message :
Un gendarme est mort. Il n’est pas tombé sous les balles de malfaiteurs, il est mort de dépit, par le manque de considération et l’aveuglement de sa hiérarchie.
Il s’appelait Christophe, il était adjudant de gendarmerie, il servait dans une compagnie départementale de la région parisienne. Il était mon ami.
Avant de se retrouver dans un poste « placard », Christophe était un enquêteur hors pair. Il s’investissait dans le domaine judiciaire et il y rencontrait une réussite certaine. Sa passion pour la police judiciaire devait le perdre.
En 2002, il fut mis en cause dans une enquête d’un SRPJ. Il était suspecté d’avoir informé un de ses agents de renseignements sur les investigations que les policiers menaient.
Pour ces faits il connaîtra la prison en détention préventive.
Cette épreuve a accablée Christophe qui n’était pour rien dans cette sale affaire. Il servira de bouc émissaire à des enquêteurs qui venait de gâcher le dossier dont ils étaient saisis. L’enquête étant vide, la seule persuasion du commissaire commandant le SRPJ parviendra à embrouiller le magistrat instructeur, qui imposera trois mois d’emprisonnement injuste à mon pauvre ami.
Toutes les voix d’appels ont été épuisées, pas une seule fois la chambre d’accusation n’a déjugé le magistrat instructeur et ce malgré la faiblesse des charges. Christophe venait d’être frappé du sceau de l’infamie, son habilitation d’Officier de police judiciaire venait de lui être retirée par le Parquet Général.
Remis en liberté, la gendarmerie dans sa grande bonté, a réaffecté mon ami Christophe dans un magasin du corps d’une légion de gendarmerie. Là, en attendant son procès, Christophe qui était toujours Adjudant de gendarmerie, enquêteur dans l’âme, à compté les chaussettes, distribué des équipements à ses camarades. Le summum pour un sous officier de sa trempe. Rien de tel pour remettre un soldat au pas.
Le jugement est enfin arrivé, aucune condamnation pénale n’est venue ternir le dossier de Christophe. Sa seule faute aurait été de ne pas prendre assez de distance avec un informateur qui lui avait permis de solutionner tan d’affaires dans lesquelles l’action de la gendarmerie avait été encensée. Il fut donc puni par la hiérarchie faute de condamnation judiciaire. Il aurait, selon eux, commis une faute professionnelle grave…
Il restera dans son placard jusqu’au jour ou la gendarmerie décida de le remettre en service opérationnel. Il lui a donc été demandé de formuler des vœux pour une affectation en unité opérationnelle. Entre temps, son titre d’officier de police judiciaire lui avait été rendue….
Christophe, ne doutant de rien et aussi un peu pour se moquer du système, postula pour une affectation outre mer et sur des postes dans le sud de la France.
Après son séjour à l’ombre…… il voulait retrouver le soleil.
Lorsque je l’ai eu pour connaître le résultat de sa demande, il m’a simplement répondu : « j’ai eu le sud…….de Paris ». Abattu, il venait de comprendre qu’il n’avait pas purgé sa peine.
Fortement ébranlé par ces épreuves, Christophe à rejoint le secrétariat de la compagnie ou il devait maintenant servir. Chaque année il espérait être au tableau d’avancement, chaque fois qu’il le pouvait il formulait des vœux d’affectations plus en phase avec ses capacités professionnelles reconnues.
Rien n’y fera. Il sera toujours débouté et malgré tous les entretiens qu’il a pu solliciter auprès des Généraux, Colonels auxquels il expliquait ses attentes ses incompréhensions, il restera toujours un paria.
Bien que réintégré, lavé de tous soupçons, il ne fera plus partie de la famille des gendarmes obéissants soumis et parfois veules.
Les années ont passé depuis 2002, la vie de Christophe fut remplie de la joie de voir ses filles réussir leurs projets personnels et professionnels. Il fut épaulé par une compagne attentive et courageuse durant les épreuves. Hélas malgré tout ce supposé bonheur, Christophe était rongé par ce cancer que constituait sa mise au placard. Il n’était pas de taille à lutter, lui le sous officier d’honneur, face à une institution qui ne s’est pas montrée très humaine avec à lui.
Christophe ne demandait qu’un peu de reconnaissance, il aurait pu exiger réparation de tout ce qui lui fut imposé injustement.
En cette fin de matinée du 6 Avril, Christophe a baissé les bras, il s’en est allé sans explication. Il s’est donné la mort, seul, comme il le fut tout au long de ces dix dernières années. Mais,
Est-il vraiment mort ce jour là ? Ne nous a-t-il pas quitté dix ans plus tôt ? Personne n’aura la réponse, même pas moi son ami.
Je ressens une colère immense, une peine incommensurable de voir ce gâchis. L’enquête interne conduite en toute discrétion par une section de recherches zélée, conclura à un suicide pour des causes personnelles, indépendantes du service. Ben voyons ne fais pas de vague, la grande maison a le mal de mer.
A l’heure ou je lis dans la presse l’émoi des médias sur la vague de suicides au sein de certaines administrations. Alors que les articles relatent les ennuis d’un officier supérieur de la gendarmerie qui s’est exprimé en qualité de chercheur, sur la fusion police gendarmerie, je trouve terriblement choquant que la mort de mon ami soit passée sous silence.
Un homme honnête, un soldat d’honneur est mort, il était mon ami et je le pleure chaque jour.
Pierre