Sujet intéressant.
A ce titre, lire : LE MONDE du 03.08.09 qui établit un tout début de parallèle Pichon/Matelly
Guérilla judiciaire entre le ministère de l'intérieur et un commandant de police
C'est une véritable guérilla judiciaire, où chacun campe dans ses tranchées sans céder un pouce de terrain. Depuis près d'un an, le commandant de police Philippe Pichon, accusé d'avoir divulgué à la presse des renseignements extraits de fichiers de police mène une incroyable bataille contre son administration pour échapper aux sanctions. Les décisions de justice se succèdent au rythme des recours des deux parties. Après plusieurs rounds, l'avocat du policier, William Bourdon, s'apprête à déposer une nouvelle requête dans cette affaire où règne, dit-il, "une atmosphère de plomb".
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Les faits remontent au 6 octobre 2008, lorsque le site Bakchich publie les fiches issues du STIC, (Système de traitement des infractions constatées), le principal fichier de police, de Djamel Debbouze et Jean-Philippe Smet, alias Johnny Hallyday. L'inspection générale de la police nationale (IGPN) mène l'enquête pour trouver d'où vient la fuite et n'a aucune peine à remonter jusqu'à M. Pichon, 39 ans, matricule 215.756, en poste au commissariat de Meaux (Seine-et-Marne). Tout en reconnaissant l'infraction, ce dernier argue d'une "démarche citoyenne" : il a communiqué ces pièces sans contreparties, affirme-t-il, dans le but de montrer la dangerosité du fichier qui consigne des faits parfois anciens sans mise à jour.
Auteur de plusieurs livres, dont Journal d'un flic (Flammarion, 2007), l'homme est connu pour ses prises de position intempestives. Il s'exprime quand on lui demande dans les media, écrit de nombreux ouvrages, - dont l'un consacré à l'écrivain Louis-Ferdinand Céline -, traque les "indulgences" de ses collègues sur les timbres-amendes et s'expose sans complexe comme soutien sur l'affiche de la candidate socialiste lors de campagne municipale de 2008 à Coulommiers, alors qu'il y travaille au commissariat. Il a fini par être muté à Meaux.
Le 19 décembre 2008, sa hiérarchie lui notifie qu'il est suspendu, puis un conseil de discipline décide, à l'unanimité de ses membres, représentants des syndicats compris, de sa mise à la retraite d'office, sans traitement. Le 24 mars, un arrêté ministériel entérine cette décision. Début du feuilleton.
Le conseil de M. Pichon saisit alors le tribunal administratif de Melun en référé, arguant qu'en février 2007, son client avait déjà rédigé un rapport sur les dysfonctionnements du STIC. Il cite aussi le service central de documentation criminel selon lequel 610 fonctionnaires de police auraient consulté la fiche de M. Debbouze et 543 celle de M. Smet... En réponse, le ministère de l'intérieur dépeint M. Pichon comme un être "imprévisible parce qu'éternel frustré", et le désigne coupable d'avoir consulté à plusieurs reprises les fiches de journalistes ou de personnalités "dont MM. Le Pen, Balkany, Mariani, Pandraud, Tapie, Mme Royal, etc". "Il y a urgence pour l'administration à écarter M. Pichon de la police nationale", concluait le ministère.
Mais le 5 mai, le tribunal annule la sanction estimant qu'il y a "un doute sérieux quant à la légalité de cette décision dès lors qu'il ressort (...) qu'il avait vainement appelé l'attention de sa hiérarchie sur les dysfonctionnements affectant la gestion du STIC". La riposte du ministère est immédiate. Le 7 mai, il prend un nouvel arrêté réintégrant le policier parmi les cadres de la police, mais le prive de tout traitement "pour service non fait" car il reste suspendu de ses fonctions.
Entre-temps, sa hiérarchie affirme avoir eu connaissance du placement sous contrôle judiciaire de M. Pichon, mis en examen pour violation du secret professionnel dans le cadre d'une information judiciaire ouverte en parallèle au tribunal de grande instance de Paris. "Cette mesure de sûreté, souligne le ministère, lui interdit de se livrer à toute activité de police, administrative ou judiciaire". L'administration en profite pour déposer un recours en révision sur l'annulation de la mise à la retraite d'office de M. Pichon.
Mais, le 29 mai, nouvel épisode. Le juge d'instruction parisien modifie les modalités du contrôle judiciaire, autorisant le policier à exercer de nouveau des fonctions de police administrative et judiciaire "étant précisé qu'il aura l'interdiction de consulter le fichier STIC". Le tribunal de Melun rejette donc le recours du ministère, entraînant une nouvelle riposte de la place Beauvau. Un arrêté du 4 juin rétablit dans ses droits à traitement M. Pichon mais ce dernier étant toujours suspendu, il perçoit son salaire amputé de ses primes (33 %), soit 2500 euros. D'où un nouveau recours de Me Bourdon...
"L'administration est horriblement mauvaise perdante", s'insurge l'avocat. "En réalité, elle fait la preuve de son intolérance face aux attitudes un peu rebelles", ajoute-t-il en citant le cas de Jean-Hugues Matelly. Cet officier supérieur de la gendarmerie, également chercheur associé au CNRS, fait actuellement l'objet d'une procédure disciplinaire pour avoir critiqué, dans un média, le rapprochement entre la gendarmerie et la police. En association avec un universitaire, il avait aussi écrit sur les manipulations autour des chiffres de la délinquance.
Le trublion Pichon a, lui, collaboré sur le STIC avec un autre chercheur du CNRS, Frédéric Ocqueteau, qui a pris sa défense et dénoncé la "violence" de l'institution policière pour celui qui ne respecte pas les règles.
Isabelle Mandraud