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Des gendarmes mal dans leur corps :Jean-Michel Desplos
Dans les unités de gendarmerie, la lettre au président de la République rédigée par les Mousquetaires commence à faire grand bruit. Publiée dans « L'Essor de la gendarmerie », un organe de presse mensuel le plus représentatif au sein de l'institution , la missive adressée à Nicolas Sarkozy fait état des préoccupations actuelles de nombreux gendarmes.
Les Mousquetaires, Alain Rançon, Alain Namur (Pas-de-Calais), Joe Antona (Provence-Alpes-Côte d'Azur) et Patrick Mélara (Languedoc-Roussillon), sont des représentants élus par leurs pairs, tous présidents de catégorie (officiers et sous-officiers), agissant à visage découvert, convaincus que « dire la vérité, c'est agir pour la paix ».
Un début de grogne avait été amorcé en février dernier sur un forum non officiel de gendarmes, à quelques semaines de l'élection présidentielle. Celui-ci n'avait pas suscité une grande effervescence. Cette fois, en revanche, l'action est beaucoup plus représentative. Les signataires de la lettre affirment représenter 700 des 3 500 présidents de catégorie.
Des pressions insoutenables. Au sein de la Direction générale de la gendarmerie, on se dit d'ailleurs « particulièrement attentif à la sortie de cette lettre ouverte abondamment commentée ». Dès mardi, le directeur général de la gendarmerie, le général d'armée Guy Parayre, s'est adressé par une vidéo de trois minutes sur tous les postes Intranet des unités pour admettre « comprendre l'inquiétude face aux changements qui s'annoncent ». Associé à toutes les décisions au plus haut niveau, il a rassuré ses troupes et leur a demandé d'être confiantes, mais surtout patientes, car la période actuelle est faite d'incertitudes.
Alors, était-ce le moment choisi pour interpeller Nicolas Sarkozy sur les difficultés rencontrées au quotidien par les gendarmes de terrain ? « Ce n'est jamais le bon moment », constate un gendarme. Car, comme le rappellent les Mousquetaires, « à l'aube du IIIe millénaire, le simple fait d'être gendarme implique encore la négation d'un des droits élémentaires de tout citoyen : celui de pouvoir s'exprimer ».
« Aujourd'hui, on vit sous la pression de la punition, du chantage à l'avancement. Notre seul droit, c'est de la fermer », s'emporte un gendarme girondin ayant plus d'un quart de siècle de métier. « Trop de nos camarades sont soumis à des pressions parfois insoutenables », affirment encore les signataires de la lettre.
Selon un sous-officier du Sud-Ouest, le service psychiatrique de l'hôpital militaire Robert-Piqué, à Bordeaux, serait occupé en grande partie par des « gendarmes au bord du gouffre ». En 2006, 13 gendarmes se seraient suicidés en Aquitaine.
Même malaise qu'en 2001. « Notre direction est sensible à ce qui se passe et est favorable à la concertation, mais en s'adressant à la hiérarchie et non pas par une lettre au président de la République, car, dans ce cas, on n'est plus dans le devoir de réserve qui sied à chaque militaire », souligne-t-on au Service d'information et de relations publiques de la gendarmerie, à Paris. « Actuellement, il y a un audit en cours qui rendra ses conclusions bientôt. »
Les Mousquetaires remarquent que, trop souvent, ils n'ont « obtenu que des promesses non tenues », et ils tiennent aussi à réaffirmer leur attachement au statut militaire. « Mais nous avons besoin que nos organismes de concertation soient valorisés pour que nous puissions mieux exprimer nos attentes et exposer nos revendications éventuelles. »
Rencontrés au hasard de leurs missions, certains gendarmes n'hésitent plus, désormais, à exprimer leur ras-le-bol. « Notre statut de militaires nous impose d'être disponibles en tout lieu et en tout temps. La plupart d'entre nous travaillons soixante-dix heures par semaine avec deux jours de repos et quarante-cinq jours de vacances par an », proteste encore un sous-officier, observant que « les conditions de travail s'améliorent cependant par petites touches à chaque fois que l'institution traverse une crise ».
Alors, le mouvement actuel ressemblera-t-il à la levée de boucliers de décembre 2001, qui avait vu, fait unique, les gendarmes descendre dans la rue ? « Le malaise est exactement le même, mais il sera difficile de mobiliser comme il y a six ans », confie un gendarme revendicatif.
« De toute façon, rien ne bougera d'un côté comme de l'autre avant le second tour des législatives, le 17 juin. Après, on verra... »
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GENDARMERIE.--Une lettre a été envoyée au président de la République pour une reconsidération du statut de gendarme
Ils demandent une loi organique comme pour la police :J.-M. D.
Gendarmes-policiers. Ils travaillent souvent de concert sur le terrain, mais leurs statuts diffèrent
PHOTO A. B.
Les Mousquetaires l'ont dit à Nicolas Sarkozy : « Nous insistons sur le fait que les gendarmes n'acceptent plus d'être moins bien considérés que leurs homologues de la police nationale et, par conséquent, nous souhaitons bénéficier d'une loi organique complétée par une grille spécifique tenant compte des servitudes de notre métier. Donnez-nous ce véritable statut du gendarme. »
Les gendarmes, à la veille des « évolutions » à venir, n'ont de cesse d'établir des comparaisons avec la situation des policiers. Ils souhaitent une forme de parité en termes de rémunération et de liberté d'expression.
D'égal à égal. « Une loi organique serait pour nous le moyen de faire ce qui a été fait pour la police en 1995 », commente un des signataires de la lettre, président de catégorie de la compagnie d'Aix-en-Provence.
« Mais nous ne souhaitons pas voir fleurir des syndicats, souvent politisés, pour représenter les gendarmes. Comme cela se fait dans d'autres grands pays européens, nous devrions pouvoir bénéficier d'une réelle représentativité catégorielle apte à traiter d'égal à égal avec les syndicats de la police nationale. »
De l'autre côté, les détracteurs opposent le logement de fonction en caserne mis à la disposition des militaires. « C'est une fausse compensation », admet un sous-officier bordelais. « Il s'agit plutôt d'une garantie de disponibilité, contrairement aux policiers qui sont des fonctionnaires et font moins d'heures. Nous constituons une force docile et disponible à moindre coût. »
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Le statut militaire confirmé
Le ministère de la Défense a salué, hier, comme un « texte équilibré » le décret définissant la « coordination » entre le ministre de l'Intérieur et celui de la Défense à propos de la gendarmerie. « C'est un texte équilibré qui confirme le statut militaire de la gendarmerie », a déclaré le porte-parole du ministère, Jean-François Bureau. Le décret, présenté mercredi en Conseil des ministres, doit être publié prochainement au « Journal officiel ».
Le porte-parole a rendu public un message du général Guy Parayre commentant le décret. « Le positionnement est clair : la gendarmerie est une force armée et relève, à ce titre, de l'autorité du ministre de la Défense. Elle obéit au ministre de l'Intérieur pour l'exercice de ses missions de sécurité intérieure. »
Les « trois évolutions » du décret sont une « participation conjointe des deux ministres, Défense et Intérieur, à l'élaboration et au suivi du budget », la « responsabilité du ministre de l'Intérieur dans l'organisation et l'emploi des unités de gendarmerie en sécurité intérieure », et une « association du ministre de l'Intérieur aux nominations des responsables jusqu'au niveau groupement ».
Cette organisation « respecte sans ambiguïté notre identité », et « personne ne doit se laisser abuser par les rumeurs, les fausses informations ou les initiatives maladroites », poursuit le général Parayre. « Il ne faut pas laisser penser qu'il existe plusieurs voix discordantes dans l'institution alors que nous partageons le même objectif : une gendarmerie confortée dans ses caractéristiques, disposant des moyens nécessaires à son action, tenant sa place dans l'architecture de sécurité », assure-t-il encore.