Par Laurent MUCCHIELLI Qu’est-ce qu’être policier en France aujourd’hui ? Comment expliquer les tensions entre les policiers et les jeunes, mais aussi les moins jeunes ? Pourquoi ce malaise grandissant au sein de la police ? Pourquoi cette dégradation continue des relations entre polices et population ? Qu’est ce qui se joue réellement autour des chiffres de la délinquance ? Quelles sont les conséquences de la politique du chiffre menée depuis 2002 sur les policiers comme sur les citoyens ? Pourquoi ce refus obstiné de la police de proximité par le pouvoir actuel ? Et d’ailleurs qu’est-ce exactement que la police de proximité ?Un livre paraît cette semaine qui apporte des réponses fortes, précises et concrètes à ces questions fondamentales. Il est signé Christian MOUHANNA, chercheur au CNRS, grand spécialiste de la sociologie de la police. Fort de 15 années de recherches de terrain sur ces problèmes, dans les banlieues sensibles comme dans les quartiers aisés, l’auteur propose une synthèse de son travail qui est assez remarquable.
L’auteur explique d’abord l’histoire de la police nationale, comment elle s’est constituée comme police d’Etat à partir des années 1940, puis comment elle s’est modernisée à partir des années 1960 mais en s’éloignant du contact avec la population. Peu à peu, le patrouilleur pédestre connaissant son quartier a été remplacé par une voiture tournant plus ou moins dans la ville et intervenant après coup lorsque des incidents ont été signalés par téléphone à “Police secours”. Peu à peu, le policier polyvalent traitant les problèmes d’un lieu et d’une population donnés a été remplacé par de multiples spécialistes traitant chacun uniquement tel ou tel problème sur des territoires beaucoup plus grands et anonymes.
Les effets pervers de cette “modernisation” ont été très tôt diagnostiqués. Les gouvernements ont tenté d’y remédier en redéveloppant “l’ilotage” dans les années 1970 et 1980. Puis, la gauche revenue au pouvoir en 1997 a lancé la “police de proximité”, à peu près sur les mêmes bases : remettre les policiers en patrouille à pieds, au contact des citoyens dans la vie quotidienne, de façon stabilisée et durable dans le temps, ce qui leur permet d’être progressivement bien connus et reconnus des habitants, et de recueillir ainsi énormément de renseignements qui servent ensuite le travail de police (y compris de police juridiciaire ou de maintien de l’ordre). La contre-partie étant naturellement un investissement humain et social dans le traitement des problèmes de la vie quotidienne signalés par les habitants.
Christian Mouhanna explique fort bien tout cela, et il le fait au regard des évaluations qu’il a menées sur plusieurs terrains. Sa démonstration empirique est claire et incontestable : là où la mise en place de cette réforme a été bien préparée, pilotée par des responsables ayant compris son intérêt et mis en oeuvre par des policiers motivés, alors la réforme a été un grand succès. Tous (policiers, habitants, élus) l’ont plébiscité.
Et pourtant… depuis 2002, Nicolas Sarkozy et son entourage refusent avec obstination toute idée de police de proximité (ou quel que soit le nom qu’on lui donne). La tentative de Michelle Alliot-Marie et des UTEQ en 2008 n’y a rien fait. On était du reste assez loin du modèle de la police de proximité. Et Brice Hortefeux s’est empressé d’arrêter l’expérience à son arrivée place Beauvau. Quant au nouveau ministre de l’Intérieur Claude Guéant, il est l’un des plus virulents opposants à la police de proximité depuis toujours… Ce refus confine pourtant à un acharnement idéologique. Il constitue une instrumentalisation de la police et du métier de policier réduit à la seule “chasse au délinquant”, alors que le quotidien du travail en sécurité publique est autrement plus riche et diversifié, et que les missions de secours et de gestion des problèmes par le dialogue sont en réalité plus nombreuses que les missions de répression proprement dite. Le sarkozysme policier est une caricature du métier de policier, qui ne conçoit la régulation sociale que sur le modèle du rapport de force et de la violence. Il paralyse l’intelligence policière en l’enfermant dans une production statistique inadaptée, bureaucratique et bornée. Le sarkozysme policier consacre ainsi l’érection de
la police contre les citoyens. Le résultat est un cercle vicieux, une dégradation continue des relations entre police et population et des tensions croissantes dont font les frais tant les citoyens que les policiers.
Il faut lire ce livre. La démonstration de Christian Mouhanna est sereine, elle ne s’inscrit pas dans une logique de dénonciation, mais dans une volonté de compréhension des uns et des autres, conduisant à des remises en question sévères mais fondées. Ajoutons pour finir qu’elle concerne tout autant la gendarmerie, dont le modèle de police de proximité (intégré dans la doctrine de la “surveillance générale”) a fait depuis très longtemps ses preuves mais se trouve aujourd’hui progressivement détruit.
- Voir la présentation et lire l’introduction de ce livre sur le site de l’éditeur
http://insecurite.blog.lemonde.fr/2011/03/21/comprendre-enfin-ce-quest-la-police-de-proximite/