Le récit anonyme
d'un spectateur de l'audience de G&CNous sommes le 5 Juin 2008. Je suis de passage à Paris pour raisons professionnelles.
J'ai appris par la presse, la veille, que le président du TGI de Paris avait fixé à ce matin l'audience en référé pour examiner l'action introduite par Jean-Hugues Matelly et l'association Forum Gendarmes et Citoyens.
Il est 9h du matin, je fais la queue pour rentrer dans le TGI. Je me présente à l'accueil, qui m'envoie vers le greffe civil, qui m'envoie vers le secrétariat du référé, qui m'envoie vers la présidence. Personne ne peut me dire quand aura lieu l'audience. Tout le monde roule des yeux ronds comme des billes quand je leur parle de cette affaire, publiée dans la presse, et dont personne ne semble au courant.
Je croise un réserviste. Deux chevrons bleus. Brigadier. Bonjour brigadier, lui dis-je. Je sais que tu es réserviste à tes deux chevrons bleus. Il me dit venir d'une légion de Bordeaux, il est assis à une petite table, il s'emmerde et il garde la présidence du TGI. Je lui demande s'il est au courant de l'audience. Il ignore parfaitement le sujet, il me dit qu'il se sent peu concerné.
Je croise des gendarmes en tenue dans le palais, dont une gendarmette qui a une extinction de voix. Ces deux-là savent qu'il y a l'audience mais ne savent pas quand. Eux aussi cherchent le renseignement.
Je croise des journalistes. Ils s'approchent du petit groupe de gendarmes qui sont venus là certainement pour prendre connaissance du jugement rendu. Il y a dans le lot un adjudant. Un capitaine en tenue de cérémonie ne tarde pas à les rejoindre. On sent une ambiance tendue.
J'ai enfin mon renseignement. L'audience est fixée à 11 heures. Elle se déroulera dans la salle de la première chambre.
Un homme plutôt charismatique fait son entrée dans la salle d'audience 10 minutes avant. Je crois reconnaître ce visage déjà vu sur le forum. Je ne me remémore pas son nom. "Excusez-moi, vous êtes le chef d'escadron.... ?" "Oui", me dit-il. Je suis au bon endroit.
L'audience précédente dure plus longtemps que prévu. Les avocats arrivent. On interroge l'avocat du ministère de la défense et de la DGGN. Je le prends en photo.
L'avocat de G&C arrive à son tour, donne une interview, et les journalistes lui disent que l'audience a commencé sans lui. Heureusement il n'en est rien. Je pénètre dans la salle d'audience, et je constate que l'audience précédente n'est pas terminée. Elle commencera dès que l'affaire en cours sera terminée.
Tout le monde s'installe, les journalistes, le commandant J-H M, les avocats, le juge, la procureure, et certainement à ses côtés une auditeure de justice, une petite stagiaire, qui aura beaucoup baillé pendant l'audience.
Trois hommes cravatés et costumés attirent mon attention. L'un d'eux, aux traits un peu asiatiques, donnera une feuille à l'avocat DGGN en cours de route. Il ne fait aucun doute pour moi que ces trois-là sont des huiles du ministère de la défense.
Matelly apparaît relax et détendu, autant que faire se peut.
L'avocat de Matelly et de G&C entame sa plaidoirie. Très longue. Trop longue. Brouillonne, fatiguante et mal argumentée. La stagiaire aux côtés de la procureure baille. Re-baille. Me regarde. Je baille. Nous échangeons un regard qui en dit long.
L'avocat du ministère de la défense et de la DGGN est plus court, plus concis, plus clair et plus percutant. En trois fois moins de temps, il argumente que cette action est mal fondée. Je comprends alors qu'effectivement, l'action judiciaire en référé est une erreur de procédure, et que la juridiction administrative était compétente pour se prononcer sous 48h comme le dit si justement l'avocat.
La procureure fait son réquisitoire. Elle demande, comme l'avocat de la DGGN, au juge de se déclarer incompétent. Elle requiert 500 Euros de condamnation de J-H Matelly et de l'association G&C aux frais de justice.
Le juge interroge J-H Matelly en tant que président, puis en tant que citoyen. En effet, deux assignations, l'une faite à titre personnel et l'autre au titre de l'association ont été faites. Le juge fait remarquer que le régime de traitement sera différent, l'avocat de la DGGN se plaint de n'avoir été assigné qu'une fois. Une petite conversation technico-judiciaire s'engage alors en aparté, les avocats à la barre, le public ne saura rien de ces chuchotements.
La procureure, avec des mots très pesés et choisis, fait remarquer que la plaidoirie de l'avocat de G&C était longue, et moins encore que les conclusions écrites. Mais la quantité ne fait pas la qualité.
L'audience se termine. Jean-Hugues Matelly admet la défaite, déclare qu'il démissionnera, et reste aussi paisible et serein qu'il peut l'être.
J'ai trouvé la plaidoirie de l'avocat de l'association, maître Dassa le Deist, très longue, ennuyeuse, et certainement suicidaire pour défendre les intérêts de G&C.
Au demeurant, le fait que le président du TGI ait autorisé l'assignation en référé d'heure à heure n'était pas un gage de succès de cette voie, certes originale, mais qui représentait un danger pour la gendarmerie, ce qui explique la motivation du procureur et, certainement, la décision du juge sur lequel pesait une lourde tâche.
Avant de quitter le TGI de Paris, je m'adresse à Jean-Hugues Matelly qui a longuement répondu aux journalistes.
Je suis en civil. Je lui dis que je suis venu assister à cette audience car son sort m'intéresse, moi qui suis réserviste.
Même si le mot "syndicat" a été banni de son vocabulaire durant l'audience, je lui dis ouvertement que, dans le civil, j'occupe un emploi dans lequel je suis représentant du personnel à titre syndical. Je suis donc syndiqué, mais je déclare que pour autant, je ne fais pas de confusion des genres et je me comporte comme il le faut quand je suis sous l'uniforme.
Etonné, Jean-Hugues Matelly me demande si la gendarmerie est au courant de mes activités syndicales.
Je lui réponds que pour rentrer dans la réserve, une enquête de moralité a eu lieu à mon sujet, et la gendarmerie n'avait qu'à taper mon nom et mon prénom dans Google pour constater que mon nom figure sur des documents syndicaux. J'étais syndiqué avant d'être réserviste.
Pour autant, la gendarmerie ne m'a jamais demandé, moi réserviste, de quitter mon syndicat dans mon emploi civil. En outre, je n'ai jamais informé mon syndicat que j'étais réserviste gendarmerie, je n'en fais la publicité nulle-part.
La gendarmerie en tant qu'institution chargée du maintien de l'ordre peut compter sur ses réservistes qui, parce qu'ils sont dans la société civile, sont d'excellents éléments de renseignement : si demain j'apprends par la voie syndicale qu'un "coup" se prépare, ne serai-je pas le mieux placé pour informer la hiérarchie militaire ?
Potentiellement, tout réserviste peut donc être un agent double, au bénéfice de la gendarmerie. Il est dommage que la haute hiérarchie n'ait pas compris l'intérêt d'avoir dans les rangs de la gendarmerie des hommes éclairés par la chose syndicale.
Je lui fais savoir que, sur les 25.000 réservistes que la gendarmerie emploie aujourd'hui en France, il y a certainement bon nombre d'adhérents de syndicats ou de partis politiques, et que rien ne leur est reproché.
Je fais savoir à Jean-Hugues Matelly que je suis navré de voir ce qui lui arrive. Il prend congé de moi très calmement et sans jamais révéler sa tristesse. J'admire sa capacité à encaisser l'échec qu'il vient de subir.
Je voudrais aujourd'hui dire à tous les gendarmes qu'ils sont commandés par une très haute hiérarchie qui les méprise. C'est clairement le sentiment que j'ai ressenti en voyant les visages des encravatés du ministère de la défense.
Je pense que Jean-Hugues Matelly a été très sévérement sanctionné pour avoir donné une existence légale à l'association Gendarmes et Citoyens.
Tant que tout se passait dans l'ombre, il n'avait rien à craindre.
Ceci répondra à celui qui disait que les gens devaient se sentir libres de s'exprimer ici. C'est faux. Personne n'est libre de s'exprimer, sauf à se faire dûrement casser par sa hiérarchie.
Seul l'anonymat permet la liberté d'expression.
L'initiative de G&C doit rester une grogne souterraine et s'exprimer par des actions masquées, car toute forme d'existence au grand jour, propre et honnête, ne peut que se traduire par une réponse adaptée des autorités : mettre un terme à ces associations déclarées.
Pour avoir été honnête et transparent, Jean-Hugues Matelly a été sanctionné. Ceci démontre que les actions de ce genre ne doivent pas être faites au grand jour, mais être menées comme des combats de longue haleine qui doivent être faits par d'autres: épouses, famille, civils, à la limite par les réservistes, mais pas par les gendarmes d'active.Le 14 Juillet arrive bientôt. Et si les gendarmes en profitaient pour défiler, à leur façon, à l'occasion de cette fête nationale ?
La DGGN peut sanctionner huit hommes. Pourra-t-elle en sanctionner des milliers qui défileront avec gyro et deux tons comme cela est arrivé par le passé ?
J'ai assisté à l'audience, j'ai trouvé l'issue inique, et je vous suggère, à tous, de défiler le 14 Juillet et d'adresser un baroud d'honneur à votre très haute hiérarchie qui vous méprise.Et si vous ne voulez pas être reconnu et inquiété, faites comme moi : achetez un masque dans un magasin de farce et attrapes.
Quiconque exprimera ses idées avec le courage de signer ses propos se verra sanctionné en gendarmerie. Ceux qui veulent changer les choses devront donc le faire de manière anonyme, et ne jamais se faire attraper.
Sinon, beaucoup d'autres Jean-Hugues Matelly subiront le même sort ....